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Rapport AEPL “Religion et politiques extérieures de l’UE”

Publié le 01/01/2021

La religion et les politiques extérieures de l’UE. Une analyse critique.

 Résumé.

  • L’Association Européenne de la Pensée Libre a pris connaissance avec intérêt du document rédigé par le Service de recherche du Parlement Européen relatif aux liens entre les politiques extérieures de l’Union Européenne et la religion.
  • Comme partenaires non-confessionnels du dialogue instauré par l’article 17 du TFUE, nous ne pouvons toutefois pas cautionner sans réserve l’analyse qui nous est soumise.
  • Nous estimons que le document, rédigé au nom d’une institution qui doit avoir comme souci de prendre un recul suffisant pour toutes les questions qui touchent aux convictions religieuses et philosophiques, ne donne pas toutes les garanties d’impartialité que nous aurions pu attendre de celle-ci.
  • Nous estimons que cette faiblesse est due à un angle d’analyse peu judicieux qui s’appuie sur des données trop limitées et manquant parfois d’objectivité.
  • Nous pensons aussi que l’approche privilégiée est déséquilibrée et donne aux ‘religions’ et plus particulièrement aux ‘religions traditionnelles’ un poids sans rapport avec l’adhésion dont elles bénéficient de la part de leurs propres fidèles[1]. Ce déséquilibre est accentué par le fait que le contact avec les institutions prend trop peu en compte les mouvements dissidents, hétérodoxes et que les femmes sont sous-représentées dans leurs hiérarchies.
  • Nous avons volontairement limité notre analyse aux considérations générales du document. L’analyse des exemples nationaux aurait alourdi notre document sans apporter d’éléments pertinents complémentaires.
  • Nous restons convaincus par les vertus du dialogue, surtout s’il touche le domaine de l’éthique, mais nous pensons que ce dialogue n’a de sens, et d’intérêt, que si tous les partenaires qui s’y engagent, le font avec humilité, sans prétendre détenir la Vérité et en acceptant de se confronter au point de vue des autres pour rechercher, ensemble, les conditions d’un ‘vivre ensemble’ harmonieux. Nous regrettons donc que l’organisation actuelle des réunions qui séparent systématiquement organisations confessionnelles et non confessionnelles ne favorise pas ce type de rencontres.

Analyse.

1. La philosophie générale du document.

Tel qu’il est rédigé, le document de l’EPRS[2], nous pose, comme organisation non confessionnelle, d’évidents problèmes.

Défenseurs de l’état impartial, nous ne contestons pas l’idée d’intégrer la dimension religieuse dans une réflexion sur les politiques extérieures de l’UE, mais nous sommes toutefois très surpris de la philosophie qui se dégage du document. Sa tonalité générale nous pose question. Ce sont ces questions que nous souhaitons évoquer dans notre note en nous efforçant de le faire dans un esprit positif sans toutefois renoncer à la possibilité d’être critiques.

a. Où sont les non-croyants ?

Le document commence par une pétition de principe : il convient de prendre les religions au sérieux. Rien dans cette introduction, qui affirme que la religiosité va connaître une croissance parallèle à celle de la population, ne permet d’identifier de quelle religiosité il va s’agir.

Par ailleurs, puisqu’il s’agit de faire de la diplomatie afin de pacifier les relations entre les citoyens dans des pays européens ou extra-européens, les non-confessionnels (non-croyants, non affiliés ou quelle que soit l’appellation qu’on leur accole) devraient être pris en compte de manière bien plus claire.

Si on peut débattre de l’évolution numérique de ce groupe, on ne peut pour autant nier son existence, ni sa contribution à un ‘vivre ensemble’ tolérant et apaisé. Il est d’ailleurs paradoxal d’affirmer que la modernité a plus de rapport avec le pluralisme qu’avec la sécularisation[3] et d’occulter, dans le même temps, l’existence d’un nombre, plus ou moins grand selon les pays, de citoyens qui n’adhèrent à aucune religion.

La formulation de l’introduction, parce qu’elle se confirme dans la suite des analyses, donne l’impression que le lecteur se retrouve devant ces textes du XIXe ou du début du XXe dans lesquels des auteurs, croyants, affirmaient – un peu à la manière du docteur Knock – que tout athée serait un croyant qui s’ignore.

b. La sécularisation est-elle vouée à disparaître ?

i. Une surestimation du facteur démographique.

La démonstration – à notre sens superficielle – du point 1.1. de l’introduction nous paraît des plus contestables. Elle aboutit à deux affirmations étonnantes.

La première, selon laquelle la religiosité augmentera par le seul effet de la démographie, semble servir de prémisse à un raisonnement syllogistique : si cette évolution démographique se vérifie et si les gens continuent à adhérer à la religion dans laquelle ils sont nés, alors en effet, il est important de tenir compte de ces religions.

Comme pour tout syllogisme, il est essentiel, avant d’en accepter la conclusion, de vérifier si les prémisses du raisonnement sont correctes[4] et d’inviter à un peu de nuance.

Un premier appel à la prudence concerne l’affirmation selon laquelle les personnes religieuses ont tendance à avoir plus d’enfants[5]. Des recherches existent pourtant qui montrent que la fécondité a un lien plus étroit avec le niveau socio-économique ou le niveau d’instruction qu’avec la croyance religieuse. Par ailleurs, il n’est pas inutile d’évoquer la mise en garde de Hans ROSLING et de rappeler qu’en matière de statistiques, il est toujours bon de ne pas avoir une confiance aveugle dans les croissances linéaires[6]. On doit donc considérer que cette hypothèse n’est qu’une prédiction, rien de plus.

La seconde, selon laquelle l’athéisme et l’agnosticisme n’augmenteront que dans deux pays,[7] nous paraît tout aussi audacieuse. Elle repose sur une seule étude et semble contredite par de nombreux autres chercheurs. Elle est en tout cas factuellement inexacte dans la présentation du document puisque le recul de l’adhésion aux religions classiques se vérifie dans d’autres pays d’Europe que la France[8].

Par ailleurs, on ne voit pas en quoi la croissance démographique de certains groupes religieux hors d’Europe remettrait en cause la tendance à la sécularisation dans les pays européens, ni la pertinence du modèle européen. Et nous n’osons pas imaginer que les auteurs du dossier envisagent de nous demander de renoncer à ce modèle, tel qu’il s’est développé depuis la fin du XVIIIe siècle, parce que nous serions incapables d’y intégrer des populations migrantes dans le futur.

ii. La question de la liberté de conscience.

L’approche exclusivement démographique, qui semble fournir un argument à ceux qui enterrent la sécularisation, néglige le fait que, lorsque les conditions sont réunies, les gens peuvent prendre leurs distances par rapport aux religions classiques et surtout par rapport aux normes sociales qu’elles veulent promouvoir ou parfois imposer[9]. Il nous semble donc essentiel de ne pas séparer la question du dialogue avec des institutions de celle de la protection absolue de la liberté de conscience[10]. Il n’est pas certain, à cet égard, qu’un dialogue qui privilégierait les interlocuteurs les plus ‘classiques’ et les plus ‘institutionnels’ facilite cette aspiration à la liberté[11]. Le paysage religieux européen et international est en constante évolution, la question de savoir qui sont les bons interlocuteurs se pose donc inévitablement.

L’autre question cruciale dans ce contexte est de savoir si les institutions européennes envisagent de discuter des conditions juridico-politiques qui doivent être réunies pour garantir cette liberté de conscience.

iii. La question de l’impartialité

Le plaidoyer en faveur de la collaboration avec les organisations religieuses (par opposition aux associations civiles) se base sur l’argument des montants dépensés (cf § 3.2.2), ainsi que sur la possibilité de contacter beaucoup de monde. Il n’est pas fait mention d’autres éléments tendant à montrer l’efficacité de l’action d’associations religieuses, en regard de celle, démontrée, d’ONG non-confessionnelles (Amnesty International, Reporters Sans Frontières, Oxfam) dans la promotion des droits de l’Homme, dont la liberté d’opinion et de croyance.

Le financement d’organisations confessionnelles qui font du travail social (l’accueil des migrants, p.ex.) pose inévitablement la question du prosélytisme. Celui-ci constitue bien entendu un droit incontestable, lié à l’exercice des libertés garanties par les articles 9 et 10 de la CEDH, mais, dans la mesure où ces associations sont, pour ces missions, financées par les autorités publiques et assument pour ainsi dire une mission de service public, il semble normal d’exiger qu’elles respectent un devoir de neutralité dans leur travail.

c. Institutionnels et dissidents, quel équilibre ?

Comme pour les documents diffusés au moment du lancement du projet ‘Erasmus des religions’, la note de l’EPRS parle beaucoup de religion sans jamais définir précisément ce que recouvre ce terme. Cette lacune, explicable par le fait qu’il n’existe aucune définition légale du concept de religion qui fasse consensus au niveau international, devrait inviter tous ceux qui veulent ‘dialoguer avec les religions’ a beaucoup de prudence. Dans ce contexte au moins deux questions se posent.

i. La prise en compte de la diversité.

On ne peut feindre d’ignorer, surtout dans le contexte des relations internationales de l’UE que ce qui est religion ici peut ne pas l’être là. Les persécutions des Témoins de Jéhovah, le statut de la Scientologie, reconnue comme église aux Etats Unis, parfois considérée comme secte dangereuse en France ou en Allemagne, sont des exemples, mais ils pourraient être multipliés en fonction des situations locales. Cette difficulté est connue des spécialistes et se renforce régulièrement. Les Pastafariens sont-ils les adeptes d’une nouvelle religion ou de doux fantaisistes ? Les pratiquants de la Wicca peuvent-ils s’intégrer au paysage religieux global ?

Si ces questions peuvent légitimement se poser, les réponses qui y sont apportées sont très variables et montrent que les institutions qui doivent y répondre ne peuvent le faire qu’après de mûres réflexions.

Ces simples constats montrent que la réintégration de la question religieuse dans le domaine de la diplomatie pose parfois autant de problèmes qu’elle ne propose de solutions[12].

ii. La question de la représentativité.

Les institutions religieuses classiques offrent évidemment au Parlement européen et à la Commission l’avantage d’être des interlocuteurs facilement identifiables. Mais le paysage de la religiosité moderne devrait inviter à une réflexion sérieuse sur la représentativité de ces institutions – et en corollaire de leur légitimité à influencer les processus législatifs – au moment où la question de l’adhésion au dogme ou à la doctrine se pose avec toujours plus d’acuité.

En Europe, les statistiques sur l’écart existant, par exemple, entre le nombre de baptisés et la fréquentation des offices religieux montrent que le concept ‘Belonging without believing’, développé par le Pr Grace DAVIE[13], a toute sa pertinence. De nombreuses études montrent que l’on peut se définir comme catholique, luthérien, orthodoxe, etc. sans pour autant respecter à la lettre les prescriptions éthiques de leurs autorités théologiques respectives.

Aucune des grandes familles religieuses classiques ne peut d’ailleurs être considérée comme un groupe homogène dans son rapport avec la doctrine. Toutes comptent en leur sein un éventail de sensibilités qui vont des plus ‘fondamentalistes’ aux plus ‘libérales’[14].

d. Où sont les femmes ?

On peut supposer – en s’en félicitant – que parmi les préoccupations que les services extérieurs de l’UE et du Parlement veulent partager avec les religions et les autres partenaires de l’Art ? 17, on va retrouver deux questions importantes, la prévention des conflits et le développement. Or, même si on semble trop souvent l’ignorer, ces deux thématiques concernent au premier chef les femmes. Pour la résolution de conflits parce qu’elles sont, avec les enfants, les premières victimes de ceux-ci ; pour le développement, parce que leur empowerment a souvent un effet décisif sur l’amélioration des conditions de vie.

Ce qui nous préoccupe dans l’approche de la note c’est que la stratégie qui se dessine implique majoritairement un dialogue avec des dignitaires religieux masculins, défendant des doctrines qui ne sont pas toujours très favorables à une amélioration du statut des femmes[15].

2. Les sources d’information.

a. Des sources pluralistes ?

N’ayant pas consulté chacune des nombreuses sources citées dans le document, il n’entre pas dans nos intentions de les remettre en cause. Cependant, nous nous interrogeons sur la prédominance des sources anglo-saxonnes, voire exclusivement américaines. Les chercheurs européens seraient-ils inexistants ou incompétents, ou leur absence serait-elle due au fait que le document est rédigé en anglais et que les études européennes ne sont pas toujours traduites dans cette langue ?

Il est néanmoins difficile de croire que, compte tenu de la différence de la place occupée par les religions au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis et celle qu’elle a dans des pays fortement sécularisés comme la France, les Pays-Bas ou la Belgique, p.ex., ce choix soit sans conséquence sur certaines orientations.

Il est aussi difficile de croire que l’on ne puisse pas trouver de recherches pertinentes produites en Europe. Des initiatives comme le réseau EUREL, l’Observatoire des religions et de la Laïcité de l’Université Libre de Bruxelles (ORELA) ou le projet ‘Understanding Unbelief’ de l’Université de Kent[16] en sont de bons exemples.

b. De quelques biais méthodologiques.

Il n’entre pas dans nos intentions de contester le sérieux des enquêtes du Pew Research Center, du moins quand celles-ci se déroulent dans un contexte normal. Mais les données liées à la religion et aux croyances sont, par essence, des données sensibles, difficiles à obtenir et donc compliquées à interpréter. Il n’est donc pas illégitime de s’interroger sur la prise en compte de ces difficultés dans les études en question.

Si, aux Etats Unis, afficher sa religion est une pratique courante, la chose est impossible dans bon nombre d’autres pays. Qui déclarera sans hésiter son athéisme en Arabie Saoudite, en Iran, voire en Russie ? Qui avouera son adhésion à une religion minoritaire (coptes en Egypte, bahaïs en Iran, etc.) dans des pays où l’apostasie est pénalisée, voire punie de mort ? Il nous semble donc que les projections sur l’évolution future des adhésions religieuses devraient être pris avec beaucoup plus de prudence que dans les documents actuels.

Enfin, de vraies questions techniques se posent néanmoins par rapport à certaines prévisions du Pew Research Center et ces questions ne peuvent être totalement occultées comme le prouvent quelques articles critiques[17]. Comme l’écrivait Daniel KHANEMAN, il faut être prudent avec les scénarios.[18]

3. Pour une autre approche du dialogue.

a. Une âme pour l’Europe.

Nous sommes particulièrement déçus, mais aussi interpellés, par le passage du document relatif au principe du dialogue initié, à la fin de années nonante par Jacques DELORS et, particulièrement, à son souhait de donner ‘une âme à l’Europe’. Notre déception s’explique par le fait que cette première tentative est particulièrement mal documentée et présentée ici de manière tout à fait superficielle et incomplète. C’est d’autant plus regrettable que l’ouvrage d’une chercheuse française, Bérengère MASSIGNON, en a, à l’époque fait une analyse assez complète et particulièrement intéressante[19]/[20].

Nous sommes aussi interpellés par l’occultation de l’initiative de dialogue, découlant de l’idée de Jacques DELORS, qui a fonctionné de 1995 à 2005, sous le nom ‘Donner une âme à l’Europe’ et ensuite ‘Une âme pour l’Europe – éthique et spiritualité’. Cette initiative a été présidée pendant toute son existence par l’actuel président de l’AEPL-EU, Claude WACHTELAER.

On est droit de s’interroger sur le silence de la note par rapport à cette expérience qui a précédé la mise en place du dispositif de l’article 17. Faut-il mettre en cause un manque d’archives utilisables ou était-il opportun de ne pas rappeler que cette initiative organisait – conformément au souhait de Jacques Delors – un véritable dialogue transversal incluant croyants et non croyants ?

Le projet d’Une âme pour l’Europe visait en effet à privilégier une réflexion sur le sens et incluait une dimension éthique forte[21]. L’un des critères d’évaluation pour le subventionnement des projets précisait : « les projets doivent prévoir une participation interreligieuse ou œcuménique/humaniste, et même leur coopération. Les projets incluant les musulmans au niveau local seront examinés avec un intérêt particulier »[22]

b. Dialogue ou cléricalisme 2.0 ?

À plusieurs reprises déjà nous avons regretté que le dialogue avec les institutions s’organise en groupes distincts : ‘croyants’, d’un côté, ‘non-croyants’, de l’autre. Certes, l’occasion qui est donnée à tous les partenaires de dialoguer avec les institutions est une opportunité tout à fait intéressante. Mais le dialogue ‘vertical’, contrairement au dialogue ‘horizontal’, tel que l’avait souhaité Jacques Delors, passe peut-être à côté de ce qui est essentiel dans la production d’un véritable consensus : la confrontation des idées.

Chaque partenaire du dialogue a – et c’est la règle du jeu – la volonté de promouvoir ses idées et de les présenter aux autorités politiques de l’Union. Mais l’absence de dialogue horizontal entre les partenaires, ne contribue pas à nuancer les positions respectives. Chacun, croyant – à tort ou à raison – détenir la vérité sur la question traitée, pourra donc essayer d’influencer les instances politiques en ayant recours à toutes les formes disponibles du rapport de force. La revendication de certains partenaires, d’intervenir, de manière institutionnelle, amont du processus législatif ne relève pas, selon nous, du dialogue – ni même du lobbbying au sens strict – mais d’un cléricalisme revisité que nous ne pouvons pas accepter. Cette dérive se manifeste aussi dans le déséquilibre entre organisations confessionnelles et non-confessionnelles en termes de réunions organisées par le Parlement ou de conférenciers invités à prendre la parole. Nous avons eu, à deux reprises déjà, l’occasion de déplorer ce déséquilibre dans des courriers adressés à Mme McGUINESS[23].

4. Conclusions.

Le document que nous avons analysé a le mérite d’exister. Mais, on l’aura compris, il est loin de nous satisfaire.

Il se fonde sur des choix conceptuels contestables et ne nous semble pas offrir les garanties suffisantes pour la défense des valeurs du modèle européen d’unité dans la diversité ou de vivre ensemble pluraliste.

Certes, dans le contexte des relations internationales, il n’est pas question de ‘vendre’ notre modèle comme le seul valable et nous comprenons donc que le document prenne en compte des sensibilités différentes, y compris religieuses. Mais, il n’en reste pas moins qu’avant le dialogue entre les communautés, il convient de promouvoir une des valeurs fondamentales partagée par la plupart des pays de l’UE, la totale liberté de conscience. Pas question donc de cautionner, par le biais du dialogue entre les institutions religieuses, les nombreuses entraves à l’exercice de cette liberté qui empêchent les individus de se dégager, chaque fois qu’ils le souhaitent des enfermements communautaires.

D’autre part, nous nous réjouissons que les institutions de l’UE cherchent, sur certains sujets, un éclairage éthique. Mais il n’y a pas de raison de penser – comme ce fut trop longtemps le cas – que les réponses à ces questions éthiques dépendent uniquement de références à l’une ou l’autre forme de transcendance, reléguant au second plan toute autre approche. C’est la raison pour laquelle nous attachons autant de prix à la confrontation sereine des points de vue et à la recherche pragmatique de solutions aux problèmes auxquels nous sommes tous confrontés. L’initiative ‘Une âme pour l’Europe’ avait mis en évidence l’intérêt de cette approche et d’autres voix plaident également pour un élargissement des pratiques du dialogue chaque fois que c’est possible[24].

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[1] Le document de l’EPRS, et plus largement, l’organisation du dialogue par le PE, mérite la même critique que celle qu’adresse le philosophe François DE SMET aux décisions de la CEDH quand elles concernent les questions de liberté de conviction ou de religion : « S’il semble logique d’éviter d’étendre la protection de la Convention à tout individu se réclamant de sa propre religion, une telle approche favorise dans les faits les cultes établis et hermétiques, et défavorise les cultes nouveaux, singuliers et réformateurs. On peut légitiment se demander, pour reprendre l’analogie avec le monde économique, si la Cour ne favorise pas ici les monopoles et les rentes de situation au mépris des indépendants et des petits entrepreneurs. » DE SMET, F., Deus casino, PUF, 2020.

[2] PERCHOC, P., Religion and the EU’s external policies, Increasing engagement, European Parliamentary Research Service, PE 646.173, 2020. https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2020/646173/EPRS_IDA(2020)646173_EN.pdf

[3] Si le pluralisme est un système d’organisation politique qui reconnaît et accepte la diversité des opinions et de leurs représentants, la sécularisation porte, elle, sur l’autonomie des structures politiques et sociales par rapport aux religions. Cette affirmation mélange donc deux concepts qui sont, selon nous, parfaitement distincts. Elle est, pour le surplus, contredite, entre autres, par Jürgen HABERMAS, qui fait de la sécularisation une des caractéristiques de la modernité.

[4] C’est l’occasion de rappeler ici le principe logique ‘ex falso sequitur quodlibet’.

[5]Religious people tend to have more children’, Religion and EU’s external policies, p.1.

[6], ROSLING, H., Factfulness, ch. 3, The straight line instinct, 2018.

[7] ‘Atheism and agnosticism are most likely to increase in only two countries : USA and France, étude EPRS, p.1

[8] SCHREIBER, JP, L’évolution des croyances religieuses en chiffres : les cas singuliers de la Belgique et des USA, ORELA, Bruxelles.

[9] À titre d’exemple, le fait que la Constitution de la république d’Irlande invoque l’autorité de la Sainte Trinité, n’a pas empêché cette même république d’autoriser l’interruption volontaire de grossesse et le mariage homosexuel.

[10] Nous avons fait savoir à Mme MOGHERIINI qu’envisager, dans le cadre de son projet d’Erasmus des religions, de mettre de côté ces questions tout en voulant dialoguer était une erreur ‘We fail to understand why the LOKAHI report recommends putting aside the questions related with FoRB. What hope do we have to tackle important problems like social inclusion or active citizenship, when, at the same time, we condone scandals like discrimination based on religion, attacks on freedom of speech, condemnation of apostasy?’ (notre lettre du 6 octobre 2019).

[11] Voir sur le cas du Liban : JREIJIRY, Roy, Le système politique libanais comme obstruction à la mobilisation collective non confessionnelle : le cas du ’Mouvement civil’ de 2015, intervention au colloque Formatting non-religion in late modern society – Institutional and legal perspectives, Eurel/University of Oslo, 2018.

[12]  Il faut rappeler que, si la question de la liberté de conscience n’était pas absente des préoccupations des rédacteurs du premier amendement de la constitution américaine, ils se sont surtout abstenus d’établir une religion à partir du constat qu’il était impossible de se mettre d’accord sur laquelle choisir parmi celles qui existaient dans les états fondateurs ! Congress shall make no law respecting the establishment of religion est moins le reflet d’un choix idéologique qu’une façon pragmatique de sortir d’un problème délicat.

[13] DAVIE, G. Religion in Britain Since 1945 : Believing Without Belonging, London, 1994.

[14] RIVA, V. ‘Le débat français sur les racines chrétiennes de l’Europe. Une reconversion de ressources politiques et religieuses’ www.fucam.be, 2006.

[15] Voir à ce sujet la résolution 1464(2005) du Conseil de l’Europe qui rappelle que :

  1. La religion continue de jouer un rôle important dans la vie de nombreuses femmes européennes. D’ailleurs, qu’elles soient croyantes ou non, la plupart des femmes sont affectées d’une manière ou d’une autre par la position des différentes religions à l’égard des femmes, directement ou par le biais de leur influence traditionnelle sur la société ou l’État.
  2. Cette influence est rarement inoffensive : les droits des femmes sont souvent restreints ou bafoués au nom de la religion. Alors que la plupart des religions enseigne l’égalité entre les femmes et les hommes devant Dieu, elles leur attribuent des rôles différents sur terre. Des stéréotypes de genre motivés par des croyances religieuses ont conféré aux hommes un sentiment de supériorité qui a abouti à un traitement discriminatoire des femmes par les hommes allant même jusqu’au recours à la violence.

[16] https://research.kent.ac.uk/understandingunbelief/

[17] De Féo, A., Pourquoi ces données sur le nombre de musulmans en Europe ne sont pas fiables, http://www.slate.fr/story/155276/statistiques-musulmans-europe-pew-research-center, 2017

[18] ‘They constructed a very complicated scenario and insisted on calling it highly probable. It is not : it is only a plausible story”, in Daniel KAHNEMAN, Thinking fast and slow, London, 2011.

[19] Voir le point 2.2.1 du document et particulièrement la note n°10

[20] MASSIGNON, B., Des dieux et des fonctionnaires, religions et laïcités au défi de la construction européenne, Rennes, 2007 et particulièrement le chapitre IV.

[21]Nous sommes à un carrefour de l’histoire européenne où le débat sur le sens devient essentiel. La construction européenne ne doit pas seulement être comprise dans sa dimension économique et politique, mais aussi spirituelle et éthique. Notre objectif est d’encourager ceux qui sont conscients de cet enjeu afin de conduire, par leur contribution spécifique à l’unification de l’Europe.’, Critères pour l’acceptation des projets, in MASSSIGNON, B., op. cit., p. 184, note 5.

[22] MASSSIGNON, B., op. cit., p. 184.

[23] « […[ Everybody is of course entitled to his opinions, including M. JUREK or Bishop HOOGENBOOM. But when the meeting gives them the opportunity to speak – so to say – from the pulpit, they occupy some sort of moral high ground vis-à-vis the people who are not members of a Church and who are seated on the backbenches. These few examples justify our repeated requests for a more balanced form of dialogue between the Institutions, the Churches and the non-confessional organizations. Mrs BYRNE rightly pleaded for more progress towards a pluralist Europe. We are convinced that this pluralist Europe, opening the space for a peaceful living together will be better achieved by a dialogue that allows some contradiction into it. Faced with the self-righteousness of one side, the other side will only react by crispation and unwillingness to find common ground for progress. Though we are mostly non-believers, we have no hostility against faith. But clericalism – and by that we mean a domination of civil society by religious groups – is an obstacle to peaceful cohabitation of people with different religious or secular worldviews, worse, it is even an obstacle, for the believers, to the peaceful exercise of religious liberty ». Notre lettre du 12 décembre 2018

[24]   [6.17] « It has long been recognised that special efforts are required to promote engagement between young people of different faiths and beliefs.There is also a need for more dialogue which focuses specifically on engagement between those who are religious and those who are not, with a variety of patterns of engagement of nonreligious people with dialogue partners from one, two or more religious traditions. As shown throughout this report, it is essential that free debate about secularism and the place of religion and belief in the public square continues apace; however, there also needs to be structured dialogue on the substantive content of different philosophical, as well as religious, traditions.

There is a wide range of non-religious perspectives and beliefs, just as there is among those who have a religious commitment. But there are no non-religious communities in the same sense as there are individual faith communities and this is an important factor in organising broader dialogue processes.

The British Humanist Association, for example, does not claim to represent all those who are not religious. It does, though, currently have a dialogue officer who can help facilitate the participation of humanists in dialogue events.19 In Scotland there has been significant progress in recent years in developing regular engagement between Scottish Churches and the Humanist Society Scotland (HSS). As noted in chapter 4, in 2014 a joint document on replacing the requirement for a regular religious observance in schools with a time for reflection was produced jointly by the Church of Scotland and the HSS ».

BUTLER-SLOSS, The Rt Hon Baroness Elizabeth, Report Of The Commission On Religion And Belief In British Public Life, Living With Difference, community, diversity and the common good, 2015

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