Rapport AEPL “Avenir du Travail”
Publié le 01/07/2019UNION EUROPEENNE : TRANSITION NUMERIQUE, TRAVAIL, EMPLOI ET NOUVELLES SOLIDARITES.
Claude WACHTELEAR et Eric MAERTENS, coordinateurs du Groupe de Travail
La diffusion des technologies numériques et ses effets recouvrent divers champs : éthique, éducation, culture, travail. L’AEPL est bien consciente qu’il existe des liens entre ces derniers. Toutefois, sur base du mandat confié au groupe de travail, ce document de synthèse reprend de façon spécifique, les principaux constats et les conclusions sur le travail et l’emploi à l’ère du déploiement des technologies numériques en Europe. Il se termine par un ensemble de recommandations centré sur les politiques sociales au niveau de l’UE.
Cette synthèse met en lumière, en filigrane, le besoin d’un changement significatif : celui de doter les normes sociales et environnementales d’une force juridique similaire à celle des libertés économiques. Certaines recommandations relèvent d’une vision peur être irréaliste à court terme, mais toutes vont dans le sens général qui consiste à placer les droits sociaux fondamentaux et le respect de critères environnementaux comme des contraintes légitimes de l’activité économique.
TRAVAIL ET CHANGEMENT TECHNIQUE
LES MUTATIONS DU TRAVAIL
LA GOUVERNANCE PAR LES NOMBRES
UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL EUROPEEN
UN REGIME REELLEMENT HUMAIN DE TRAVAIL
RECOMMANDATIONS
* * *
TRAVAIL ET CHANGEMENT TECHNIQUE
|
LES MUTATIONS DU TRAVAIL
|
LA GOUVERNANCE PAR LES NOMBRES
|
UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL EUROPEEN
|
UN REGIME DE TRAVAIL REELLEMENT HUMAIN
|
RECOMMANDATIONS
Impulser une logique et une démarche différentes de celles qui ont dominé l’Europe sociale
Doter les normes sociales et environnementales d’une force juridique similaire à celle des libertés économiques. | La légitimité des valeurs de l’UE et des objectifs sociaux définis par le Traité de Lisbonne (TUE et TFUE) et celle de la charte des droits fondamentaux de l’UE forment un socle incontestable.
Se basant sur l’analyse des impacts prévisibles de la transition numérique sur le travail et l’emploi ; Ayant noté qu’il est irréaliste d’envisager, à court terme, un transfert effectif à l’échelle européenne, des compétences des Etats membres dans le domaine social ;
l’AEPL est consciente que les réponses à moyen et long terme impliqueront une logique différente de celle qui a dominé l’Europe sociale depuis le Traité de Rome. Il conviendra de placer, aux différents niveaux de gouvernance, (Local, national, européen) le respect des droits sociaux fondamentaux et le respect de critères environnementaux comme des contraintes légitimes de l’activité économique et les situer sur le même plan que les libertés économiques.
|
Mettre en place une initiative européenne tripartite de concertation sur les impacts sociaux et économiques des technologies numériques | Se référant à l’initiative européenne sur l’intelligence artificielle et son 3e objectif d’établir un cadre juridique et éthique de l’usage des techniques d’IA, S’appuyant sur les mécanismes nationaux de concertation sociale,
La Commission européenne et le Conseil européen pourraient, de façon similaire, lancer une initiative européenne de concertation tripartite (acteurs sociaux et gouvernements) dont l’objectif serait d’anticiper les impacts et d’identifier des mesures qui présenteraient une valeur ajoutée indéniable à l’échelle européenne, en complément aux mesures prises aux plans local et national.
Une plate-forme numérique européenne pourrait, à cet égard, dynamiser et organiser la concertation entre acteurs nationaux et européens.
|
Mettre en œuvre de façon effective le socle européen des droits sociaux, en particulier 5 des principes sur les 20, qui permettent d’agir sur les impacts sociaux et économiques de la transition numérique
Conditionner l’octroi des fonds structurels et d’investissement à des critères sociaux et environnementaux, tout en procédant à trois mesures dans le prochain cadre financier pluriannuel CFP : l’augmentation des moyens, le regroupement des Fonds, et la révision de leur champ d’action de façon à permettre un ciblage spécifique sur les impacts décelés en lien avec le déploiement de technologies numériques
Donner corps, dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFE), au projet d’Autorité européenne du Travail (AET).
A plus long terme, établir unTribunal européen de Travail, couple à unmécanisme européen de coordination et de soutien de l’UE au bon fonctionnement des inspections nationales du travail
| A moyen terme, deux volets de l’agenda social récent de l’UE, le socle européen des droits sociaux et le projet de création d’une Autorité européenne du Travailconstituent une fenêtre d’opportunités pour peser sur les réponses aux transformations du travail et de l’emploi à l’ère du numérique.
Même si la proclamation conjointe de ce socle par trois institutions européen es lui accorde pas de valeur juridique contraignante, l’AEPL recommande et soutient la mise en œuvre effective des 20 principes qu’il contient.
Cette mise en œuvre ouvre, en effet, une voie nouvelle par la possibilité de rattacher plusieurs de ces principes à des instruments juridiques existants, y inclus la révision de directives, comme par exemple celle du temps de travail, mais aussi par le biais de nouveaux dispositifs, comme le projet de création d’une autorité européenne du travail
Parmi ces 20 principes, sur lesquels la CJUE pourrait s’appuyer en lien avec la charte des droits fondamentaux de l’UE, notons en particulier pour notre sujet, celui sur :
Les contrats de travail et la proposition de directive portant sur des conditions de travail transparentes et prévisibles L’équilibre vie professionnelle et vie privée et la proposition de directive Droit à un salaire juste permettant un niveau de vie décent Un environnement de travail sain, sûr et bien adapté, et la protection des données vL’accès à la protection sociale
Sur la conditionnalité d’octroi des fonds, il faudra éviter de susciter parmi les Etats bénéficiaires, la suspicion d’un blocage de ressources en amont. Le mécanisme devrait donc être incitatif à la convergence sociale par le haut, graduel, et surtout liés à la fixation d’objectifs sociaux réalistes que l’UE pourrait définir à partir du suivi du socle des droits sociaux.
L’AEPL recommande l’adoption du projet d’Autorité européenne du Travail, et en faire une agence européenne en veillant spécialement à lui donner un rôle opérationnel et en négociant son rôle juridique contraignant sur base des 20 principes du socle européen des droits sociaux, dans les limites juridiques imposées par les traités, en particulier l’article 153 du TFUE
A plus long terme, engager une démarche, certes utopique et envisageable que sur base d’un nouveau cadre juridique européen, qui consisterait à établir un Tribunal européen de Travail, couplé à un mécanisme européen de coordination et de soutien de l’UE au fonctionnement des inspections nationales du travail.
Un tel tribunal disposerait comme base juridique, des conventions internationales du travail de l’OIT ratifiées par les 28 Etats membres de l’UE, de la jurisprudence du Comité d’experts de l’OIT et du socle européen des droits sociaux, dont plusieurs principes sont de fait l’expression directe de la charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.
Le traitement des dossiers au tribunal pourrait s’inspirer, sur une base tripartite, des mécanismes et procédures mis en œuvre par l’OIT.
Un recours d’appel pourrait être envisagé auprès de la Cour européenne de Justice (CJUE)
|
Lancer une initiative européenne de sécurisation des trajectoires professionnelles
| Cet objectif conduit à sécuriser les trajectoires professionnelles en permettant de passer d’un travail à un autre et de concilier vie privée, vie professionnelle, période de formation, travail bénévole etc…Elle intervient dans la refondation du droit du travail en couvrant les nouvelles formes de travail et pas exclusivement le travail salarié. |
Sur la base du socle européen des droits sociaux, inciter les Etats membres, à doter d’une force juridique. des « droits de tirage sociaux[2] » | Couplée à la mesure qui consiste à substituer à la subordination juridique, le critère de dépendance économique, l’AEPL recommande la mise en place de droits de tirage sociaux. Des droits qui ne sont pas attachés à l’activité où l’emploi, mais à la personne du travailleur et l’accompagnent dans sa trajectoire professionnelle et de vie, quel que soit la diversité des situations de travail. |
Doter la nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe[3] et la coalition en faveur des compétences et des emplois numériques[4] de moyens significatifs
Insérer les programmes relatifs à ces deux stratégies dans les mécanismes de solidarité et fonds structurels regroupés de l’UE | L’un des effets majeurs de la transition numérique porte sur la polarisation des emplois et du travail. Pour y faire face, l’une des réponses pertinentes est la formation des citoyens au long de leur vie active en sécurisant leur trajectoire professionnelle. Dans le cadre des réformes et des regroupements envisagés des fonds structurels, l’AEPL soutient la nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe qui définit les compétences numériques qui devraient être considérées comme faisant partie du socle de compétences essentielles pour l’avenir, aspect souligné dans la Partie I du socle européen des droits sociaux et la coalition en faveur des compétences et des emplois numériques
|
Toute refondation du droit du travail au sein de l’UE qui placerait le travail réellement humain ou vivant au centre du débat sur les politiques sociales doit intégrer toutes les formes d’activités | Dans son analyse et les recommandations ci-dessus, L’AEPL a déjà suggéré plusieurs pistes et initiatives, à l’échelle européenne. D’autres pistes, mises en évidence par les travaux d’Alain Supiot, renforceraient les dispositifs proposés, notamment: Permettre d’engager une négociation sur le contenu et le sens du travail, en faisant de la conception et de l’organisation du travail un « objet de négociation collective et d’alerte individuelle » Porter ces négociations collectives à des niveaux pertinents et pas seulement celle de la branche ou de l’entreprise et, de façon spécifique, « les niveaux concernés des chaînes et réseaux de production et d’approvisionnement et celui des territoires. » Réduire l’opacité des responsabilités juridiques et économiques dans les chaînes d’approvisionnement et de production et des réseaux d’entreprises, « en indexant la responsabilité de de chacun des membres de ces réseaux sur le degré réel d’autonomie dont il dispose » Dans une réforme du droit du travail, « prendre en considération le travail non-marchand […] qui est aussi vital pour la société qu’ignoré des indicateurs économiques » |
[1] Tels que ceux énoncés dans la charte sociale européenne de 1961 et ceux de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 et le volet travail dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE de 2000.
[2] Rapport pour la Commission des Communautés européennes avec la collaboration de l’Université Carlos III de Madrid : « AU DELA DE L’EMPLOI. » Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe. Sous la Direction d’Alain SUPIOT, rapporteur général. Flammarion. Mars 1999
[3] COM(2016) 381
[4] https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-skills-jobs-coalition