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Rapport AEPL “Avenir du Travail”

Publié le 01/07/2019

UNION EUROPEENNE : TRANSITION NUMERIQUE, TRAVAIL, EMPLOI ET NOUVELLES SOLIDARITES.

Claude WACHTELEAR et Eric MAERTENS, coordinateurs du Groupe de Travail

La diffusion des technologies numériques et ses effets recouvrent divers champs : éthique, éducation,  culture, travail. L’AEPL est bien consciente qu’il existe des liens entre ces derniers. Toutefois, sur base du mandat confié au groupe de travail, ce document de synthèse reprend de façon spécifique, les principaux constats et les conclusions sur le travail et l’emploi à l’ère du déploiement des technologies numériques en Europe. Il se termine par un ensemble de recommandations centré sur les politiques sociales au niveau de l’UE.

Cette synthèse met en lumière, en filigrane, le besoin d’un changement significatif : celui de doter les normes sociales et environnementales d’une force juridique similaire à celle des libertés économiques. Certaines recommandations relèvent d’une vision peur être irréaliste à court terme, mais toutes vont dans le sens général qui consiste à placer les droits sociaux fondamentaux et le respect de critères environnementaux comme des contraintes légitimes de l’activité économique.

TRAVAIL ET CHANGEMENT TECHNIQUE

LES MUTATIONS DU TRAVAIL 

LA GOUVERNANCE PAR LES NOMBRES

UN NOUVEAU CONTRAT  SOCIAL EUROPEEN

UN REGIME REELLEMENT HUMAIN DE TRAVAIL

RECOMMANDATIONS

   *   *   *

TRAVAIL ET CHANGEMENT TECHNIQUE

  • La transition numérique renvoie à des transformations profondes des processus économiques, des modèles de production et d’organisation du travail. Les techniques les plus récentes, dont celles de l’Intelligence artificielle s’inscrivent dans un processus continu de déploiement du numérique depuis des décennies.

 

  • Ce qui s’avère différent des phases antérieures de la mécanique et du machinisme, c’est bien le saut qualitatif de la transition numérique, à savoir le transfert vers la machine et l’automatisation des opérations intellectuelles, cognitives et de calcul. Dans ce contexte, l’essentiel est alors » l’interaction entre les informations collectées et la prise de décision, c’est-à-dire que la machine a une capacité de réaction aux modifications de son environnement. »

 

  • L’argument souvent mis en relief pointe le fait que les technologies numériques et, de façon spécifique, l’intelligence artificielle (IA) ne seraient plus des technologies « maîtrisables » par l’homme, car marquées par une forte autonomisation de la technique. Toutefois, au stade actuel de développement de l’IA, le risque d’autonomie de la décision n’existe pas.

 

  • Le travail et la technique sont des réalités ambivalentes. Le travail est considéré à la fois comme un facteur de production, l’essence de l’homme, le pivot du système de distribution des revenus, des droits et des protections. « Ces dimensions sont contradictoires entre elles et fondent la pluralité d’interprétations. »

 

  • Isoler le facteur technique comme facteur de transformation des rapports sociaux est une démarche délicate, sinon impossible. Toute société humaine est fondée sur un système technique et la cohésion dans le temps de toute société va dépendre de la façon dont le système technique (et les innovations qui le font évoluer) s’articule en cohérence avec les systèmes sociaux et ses institutions. Le changement de système technique auquel nous faisons face se produit sans pouvoir l’articuler à un récit cohérent et des institutions et de règles adaptées.

 

LES MUTATIONS DU TRAVAIL

  •  Le lien entre la transition numérique et ses effets sur le volume de travail reste controversé et les prédictions en la matière peu fiables. Les estimations concordantes situent à un horizon 2025-2030 le chômage « technologique » à un niveau situé entre 9 et 15 % de la population en emploi au sein de l’UE. Sur une population en emploi de l’UE estimée à 235 millions de personnes, ce sont donc plusieurs millions d’emploi qui disparaîtront.

 

  • Tout en notant que le secteur du numérique est un secteur en croissance rapide, le volume des emplois correspondants est encore marginal. Si le potentiel à terme de création d’emplois directs et indirects liée à cette transition numérique sera significatif, l’une des difficultés à saisir le champ des possibles et établir une prédiction est liée à la nature spécifique de la transition numérique, où les innovations sont interdépendantes.

 

  • Toutes les analyses convergent, par contre, pour souligner un aspect qualitatifimportant de la transition numérique : le fait que le contenu des tâches – et dès lors des compétences –  évoluera de façon significative à terme dans un emploi sur deux.

 

  • En liaison avec d’autres facteurs, c’est bien le cadre spatial et temporel du travail qui est en rupture. Plusieurs lames de fond y contribuent : l’automatisation, la connectivité des systèmes automatiques, l’entreprise de plateformes, la segmentation du travail et l’évolution du lien traditionnel de subordination. L’un  des effets majeurs est celui d’une évolution marquée du contenu des tâches et d’une forte polarisation de la structure des emplois, profitant aux métiers très qualifiés. Ce sont bien les métiers peu ou pas qualifiés, avec des tâches manuelles et routinières, qui seront affectés.  Une polarisation qui pourrait être la source d’une fracture sociale amplifiée et creusant les inégalités.

 

  • La transition numérique est un élément constitutif de l’évolution du travail et des emplois, mais surtout un facteur accélérant la segmentation du travail, son intensification et l’émergence de nouvelles formes de travail et d’organisation du travail dans une économie en réseau.

 

  • Un élément-clé des évolutions en cours est la manière dont le numérique va favoriser la connectivité de systèmes automatiques A savoir le fait que « toutes les tâches, tous les acteurs, tous les processus peuvent désormais être reliés entre eux, à de multiples échelles géographiques, créant au passage des masses considérables de données qui sont la matière première des nouvelles chaînes de valeur. La révolution numérique dans l’industrie, ce n’est pas la substitution des robots aux hommes. C’est l’intelligence de la mise en réseau des machines entre elles, des machines et des hommes, et des hommes entre eux»

 

  • Les questions posées par l’automatisation sont légitimes. L’une des réponses délicates sera celle de la capacité collective de l’UE et de ses Etats-membres à mettre en place une saine gestion de ces mutations. il s’agit de la capacité collective à prendre en main – sans pour autant bâillonner l’innovation –  la distribution des gains de productivité, la façon dont ces gains sont répartis et comment leur répartition réduirait les inégalités.

 

  • L’entreprise de plateformes intensifie la polarisation du travail, en plaçant l’activité hors du temps et du lieu traditionnel de l’entreprise.

 

  • La transition numérique est un facteur accélérant la segmentation du travail.Elle accentue la flexibilité et la façon dont les tâches sont redistribuées. Avec plusieurs conséquences : la première, celle d’une intensification du travail, notamment en réseau. La  2e conséquence est d’externaliser, selon les cas, plusieurs maillons de la filière de production et donc du travail qui y est associé avec la présence de statuts professionnels différents, mobilisant  des formes de travail  qui ne relèvent ni du travail salarié ni du travail indépendant classique, et découpant parfois le travail en prestations individualisées. La  3econséquence est que cette segmentation va modifier la position des emplois dans les chaînes de valeur.

 

  • Le lien traditionnel de subordination,  caractéristique du modèle « fordiste », est en mutation profonde.  Il est au cœur d’un débat sensible sur l’élargissement du champ d’application du droit du travail, en substituant à la subordination juridique classique, le critère de dépendance économique. Ce critère devrait être à la source des protections sociales et fonder un droit du travail couvrant tout l’éventail des situations professionnelles, depuis le travailleur directement subordonné jusqu’au plus indépendant sur le plan économique.

 

  • Un aspect crucial de ce débat à l’échelle de l’UE est la question centrale de la protection sociale. Tout débat sur le futur du travail et sur les nouvelles formes de travail devra prendre en compte le maintien de  la cohésion des divers statuts professionnels, dont les deux faces de la même pièce sont le droit du travail et celui de la sécurité sociale.

LA GOUVERNANCE PAR LES NOMBRES 

  •  La question du passage d’un cadre institutionnel en rupture profonde, celui de l’Etat providence, vers un cadre nouveau, pose celle de la cohésion de nos sociétés et de la manière dont se conçoit le gouvernement  des hommes.

 

  • D’où, la conscience de plus en plus nette de devoir faire face à des « vides de  gouvernance » à plusieurs niveaux, local, national, européen  et global et  le besoin d’identifier les mécanismes nouveaux de protection et de renforcement des droits. En particulier, la régulation des nouvelles formes de travail devient une question centrale pour l’UE et ses Etats membres.

 

  • Le passage de la notion de « gouvernement » des hommes (règne de la loi) à celle de « gouvernance » qui émerge dans les années 80 prend place dans le vocabulaire et la pratique des institutions de l’UE.

 

  • Tout en prenant les lois en compte les lois, la légitimité de la « gouvernance » repose sur la capacité des institutions et des hommes à adapter leur comportement aux changements de leur environnement et sur la place que prennent dans ce cadre de nouveaux acteurs.

 

  • La gouvernance par les nombres modifie l’usage original de la quantification pour adopter une logique inverse où la fixation d’objectifs chiffrés devient  une pratique courante. Venant des entreprises, elle s’étend à la fonction publique nationale et à l’échelle de l’UE. Les données, les conventions statistiques  ne forment plus un préalable à la prise de décision. La gouvernance par les nombres détermine l’action des administrations et institutions nationales et de l’UE  par des critères de performance qui deviennent des objectifs à atteindre dans un tableau de bord auquel tous les acteurs doivent adhérer.

 

  • Avec la transition numérique et l’Intelligence artificielle (IA),  une nouvelle étape est franchie par le biais de la « gouvernementalité algorithmique (GA) ». Ce mode de gouvernement combine deux éléments principaux : d’une part, les traces numériques (les données massives brutes) que nous laissons  dans notre circulation numérique et, d’autre part, de nouvelles pratiques statistiques et algorithmes qui  interviennent sur ces données pour prédire des comportements.

 

  • Les risques éthiques majeurs d’un déploiement de cette GA dans nos sociétés, peuvent aisément être transposés au monde du travail, de l’entreprise, de l’autonomie des acteurs, syndicaux et employeurs, du dialogue social. A partir du moment où les données sont traçables et sous contrôle, la GA évacue les représentations partagées des acteurs, pour dire et imposer ce qui est réel et objectif, Cette GA, au sein de l’entreprise, n’autoriserait plus la critique et pourrait remettre totalement en cause l’exercice de la démocratie sociale.

 

  • S’ajoutant à la question des règles fondamentales de protection du travail pour tous et à celle de garantir la fonction du droit du travail comme élément essentiel de la cohésion sociale, la gouvernance  par les nombres de la démocratie sociale devient ainsi l’un des éléments centraux de toute réflexion, à l’échelle de l’UE, sur la question des mutations du travail.

UN NOUVEAU CONTRAT  SOCIAL EUROPEEN

  •  Explorer des pistes et des réponses effectives aux risques posés par les transformations du travail et de l’emploi , c’est tenir compte des limites de la prédiction et de plusieurs réalités : le cadre institutionnel actuel de l’UE et la répartition des compétences entre l’UE et les Etats membres ; les initiatives engagées en vue du marché unique numérique (MUN) et sur l’économie des données ; les mesures prises en vue d’adapter et protéger les travailleurs au sein de l’UE et de protéger les données ; enfin, l’exercice des pouvoirs et les rapports de forces entre la démarche intergouvernementale et communautaire.

 

  • Les 16 propositions du MUN couvrent un éventail large et cohérent de mesures. Certaines, importantes, telles que la suppression des frais d’itinérance, le Règlement Général de Protection des données, ont déjà fait l’objet de dispositions juridiques européennes et sont entrés dans leur phase d’application. D’autres sont en phase de lancement.

 

  • Une initiative qui, de façon surprenante, n’est pas reprise dans le MUN mérite une mention particulière. Il s’agit d’un projet de plate-forme numérique européenne,  liée à la défense des valeurs partagées de l’UE.

 

  • Force est de constater, qu’à l’exception du sujet de l’éducation et des compétences numériques en vue d’éviter de nouvelles inégalités de départ,  la dimension sociale du MUN ne suscite pas un ensemble cohérent et précis de projets qui mettraient en relief la valeur ajoutée d’une action communautaire dans ce domaine.

 

  • L’évaluation à mi-parcours du MUN et l’initiative européenne dans le domaine de l’IA confirment ce constat.

 

  • La raison invoquée, à savoir la répartition des compétences entre l’UE et les Etats membres qui rappelle clairement que les Institutions de l’UE n’interviennent qu’en soutien  aux efforts des États membres auxquels incombent les politiques de l’éducation et du marché du travail.

 

  • Réfléchir à la dimension sociale du Marché Unique et du MUN et à des lignes d’actions c’est aborder avec beaucoup de pragmatisme deux questions centrales.

 

  • La première consiste à revenir aux fondements de l’Europe sociale et à tenter de savoir s’il serait possible à terme, profitant de l’impact de la transition numérique, d’en modifier la logique dominante depuis le Traité de Rome. Une logique qui dissocie l’économique et le social, l’efficacité économique et la justice sociale.

 

  • La 2e question est de se demander, dans le cadre juridique actuel des Traités, si l’UE pourrait apporter une valeur ajoutée, par une action sur des projets qui exigeraient une action communautaire

 

  • La légitimité des valeurs de l’UE et des objectifs sociaux fixés par le Traité de Lisbonne n’est pas contestable, mais peut-on envisager que les droits sociaux fondamentaux des travailleurs [1] puissent être invoqués, en droit, sur un plan égal à celui des libertés économiques ?

 

  • A court terme, un tel changement de paradigme n’est pas réaliste. Il est certes souhaitable, mais les raisons qui maintiennent le modèle social européen dans son cadre actuel sont multiples.

 

  • La première tient à l’exercice des pouvoirs et à l’asymétrie des rapports de force entre la démarche intergouvernementale et la démarche communautaire. La seconde raison est qu’il  n’est en effet guère pensable que les Etats membres de l’UE puissent accepter à court terme de transférer de nouvelles compétences à l’UE, dans l’optique qui placerait les droits sociaux fondamentaux et le respect de critères environnementaux  comme des contraintes légitimes de l’activité économique et sur le même plan que les libertés économiques.

 

  • Cette logique de primauté des libertés économiques a toujours prévalu, malgré les avancées significatives de la Charte des droits fondamentaux de l’UE sur le plan des libertés politiques et de la citoyenneté européenne.

 

  • Le bilan « social » de l’UE et de ses Etats membres, depuis la crise de 2008, est largement contrasté, toutefois, deux volets de l’agenda social récent de l’UE retiennent l’attention : le socle européen des droits sociaux et le projet de création d’une Autorité européenne du Travail.

 

  • L’objectif du socle et de ses 20 principes est de garantir l’équité des marchés du travail et des systèmes sociaux et leur bon fonctionnement.  Ils reprennent plusieurs des droits sociaux provenant de la Charte des droits fondamentaux de 2000.

 

  • Son contenu laisserait penser que la logique de dissociation entre l’économique et le social serait infléchie.

 

  • Il n’en est rien à ce stade, dans la mesure où la proclamation conjointe des trois institutions européennes de ce socle ne lui accorde aucune valeur juridique contraignante et qu’il respecte, par ailleurs, les limites juridiques imposées par les traités, en particulier  l’article 153 du  TFUE.

 

  • Le socle des droits sociaux est, avant tout, un document politique. Il ouvre cependant des perspectives de réflexion, et d’actions significatives sur les risques liés aux mutations du travail sur la base de plusieurs des 20 principes :

 

  • Par la mise en œuvre effective de ces 20 principes sous l’impulsion de la Commission européenne avec le soutien du parlement et du Conseil européen. Sa valeur dépendra donc de la suite qui lui sera donnée à partir de 2019.

 

  • Par le rattachement de plusieurs de ces principes à différents instruments juridiques y inclus  la révision de directives, comme par exemple celle du temps de travail, mais aussi par le biais de nouveaux dispositifs, comme le projet de création d’une autorité européenne du travail, qui dans les faits deviendrait une agence européenne.

 

  • Par l’action de la Cour européenne de Justice qui pourrait se référer à ce socle dans son travail d’interprétation, dans la mesure où il traduit nombre de principes de la Charte de 2000, intégrée dans les Traités.

 

  • Un autre défi significatif sera celui du financement d’un tel socle  européen des droits sociaux.

 

  • Sachant qu’il est peu vraisemblable que le futur budget européen (post-BREXIT) puisse augmenter de façon significative, l’une des idées-maîtresses soutenu par plusieurs membres de l’AEPL consisterait à conditionner l’octroi des fonds structurels et d’investissement à des critères sociaux et environnementaux. Ceci, tout en  procédant à trois mesures dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (CFP) : l’augmentation des moyens des Fonds, le  regroupement des Fonds,  et enfin la révision de leur champ d’action de façon à permettre un ciblage spécifique.

 

  • Le mécanisme de conditionnalité devrait en priorité être incitatif de la convergence sociale par le haut, graduel, et surtout lié à la fixation d’objectifs sociaux réalistes par pays, que l’UE pourrait définir sur base du tableau de bord conçu comme mécanisme de suivi du socle des droits sociaux.

 

  • Le projet d’Autorité européenne de Travail (AET) pourrait être un relais déterminant des principes du socle européen des droits sociaux. Trois missions de cette Autorité sont en débat : une simple fonction d’information et de soutien aux Etats membres, une fonction opérationnelle et une fonction portant sur des mesures contraignantes. A court et moyen terme, l’espoir consisterait à  mieux cerner le rôle opérationnel pour  dégager un consensus et délimiter soigneusement les volets de contraintes qui seraient acceptables, à l’image de l’effet contraignant que peuvent déployer d’autres agences, telles que l’agence EUROJUST.

 

  • A plus long  terme, une démarche, certes utopique, qui n’est envisageable que sur base d’un nouveau cadre juridique, consisterait, comme le défend  l’AEPL, à établir un Tribunal européen de Travail, couplé à un mécanisme de coordination et de soutien de l’UE au fonctionnement des inspections nationales du travail.

 

  • Cette dernière proposition s’appuie sur l’argument  en filigrane dans ce document, à savoir un nouveau contrat social d’une Europe qui doterait les droits sociaux fondamentaux et le respect de critères environnementaux d’une force juridique équivalente à celle des libertés économiques fondamentales.                                             

UN REGIME DE TRAVAIL REELLEMENT HUMAIN

  •  L’agenda social est au cœur de toute politique de l’UE et pose à nouveau  la question d’un régime de travail réellement humain. Il doit se réapproprier « l’Esprit de Philadelphie » et le préambule de la constitution de l’OIT dont les 28 Etats membres de l’OIT font partie, à savoir :

 

  • « La non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays »

 

  • Le droit du travail dans les 28 Etats membres est centré sur les conditions d’exécution du travail face à des impératifs économiques, scientifiques ou techniques et non sur le travail en lui-même. Il renforce,  y compris dans le droit de l’UE,  la flexibilité du marché du travail comme l’un des paramètres de la croissance économique, via notamment les articles 145 et 146 du TFUE où  la stratégie coordonnée de l’emploi engage les Etats membres à préparer et adapter une main d’œuvre qualifiée d’une manière compatible avec les politiques économiques.

 

  • Toute refondation du droit du travail des Etats membres et du droit de l’UE dans ce domaine qui  veut tenir compte aussi bien des nouvelles formes de travail et d’organisation du travail  que des principes régissant un travail réellement humain ou vivant, devra modifier la logique qui prévaut  de subordonner le social et l’environnemental aux critères des libertés économiques fondamentales.

 

  • Dans son analyse, L’AEPL a déjà suggéré plusieurs pistes et initiatives, à l’échelle européenne D’autres pistes, sur base des travaux d’Alain Supiot, renforceraient les dispositifs proposés, en particulier :

 

  • Les procédures qui, dans le cadre du dialogue social, permettraient d’engager une négociation sur le contenu et le sens du travail, en faisant de la conception et de l’organisation du travail un « objet de négociation collective et d’alerte individuelle »

 

  • Porter ces négociations collectives à des niveaux pertinents et pas seulement celui de la branche ou de l’entreprise et, de façon spécifique aux   « niveaux concernés des chaînes et réseaux d’approvisionnement et de production et celui des territoires. »

 

  • Réduire l’opacité des responsabilités juridiques et  économiques dans les chaînes d’approvisionnement et de production et les réseaux d’entreprises, « en indexant la responsabilité de de chacun des membres de ces réseaux sur le degré réel d’autonomie dont il dispose »;

 

  • Doter les normes sociales et environnementales d’une force juridique équivalente aux normes régissant au sein de l’UE les libertés économiques  fondamentales d’échange de biens, de services et de capitaux  ce qui suppose l’instauration d’une instance européenne de règlement des litiges, avec le pouvoir d’autoriser les pays qui respectent les normes à fermer leur marché aux produits fabriqués dans des conditions qui ne les respectent pas.

 

  • Dans une réforme du droit du travail, « prendre en considération le travail non-marchand […] qui est aussi vital pour la société qu’ignoré des indicateurs économiques »

 

RECOMMANDATIONS

 

 

Impulser une logique et une démarche différentes de celles qui ont dominé l’Europe sociale

 

 

 

Doter les normes sociales et environnementales d’une force juridique similaire à  celle des libertés économiques.

 

La légitimité des valeurs de l’UE et des objectifs sociaux définis par le Traité de Lisbonne (TUE et TFUE)  et celle de la charte des droits fondamentaux de l’UE forment un socle incontestable.

 

Se basant sur l’analyse des impacts prévisibles de la transition numérique sur le travail et l’emploi ;

Ayant noté qu’il est  irréaliste d’envisager, à court terme, un transfert effectif à l’échelle européenne, des compétences des Etats membres dans le domaine social ;

 

l’AEPL est consciente que les réponses à moyen et long terme impliqueront une logique différente de celle qui a dominé l’Europe sociale depuis le Traité de Rome. Il conviendra de placer, aux différents niveaux de gouvernance, (Local, national, européen) le respect des droits sociaux fondamentaux et le respect de critères environnementaux  comme des contraintes légitimes de l’activité économique et les situer sur le même plan que les libertés économiques.

 

 

 

Mettre en place une initiative européenne tripartite de concertation sur les impacts sociaux et économiques des technologies numériques

Se référant à  l’initiative européenne sur l’intelligence artificielle et son 3e objectif d’établir un cadre juridique et éthique de l’usage des techniques d’IA,

S’appuyant sur les mécanismes nationaux de concertation sociale,

 

La Commission européenne et le Conseil européen pourraient, de façon similaire, lancer une initiative européenne de concertation tripartite (acteurs sociaux et gouvernements) dont l’objectif serait d’anticiper les impacts et d’identifier des mesures qui présenteraient une valeur ajoutée indéniable à l’échelle européenne,   en complément aux mesures prises aux plans local et national.

 

Une plate-forme numérique européenne pourrait, à cet égard, dynamiser et organiser la concertation entre acteurs nationaux et européens.

 

 

 

 

Mettre en œuvre de façon effective le socle européen des droits sociaux,  en particulier 5 des principes sur les 20, qui permettent d’agir sur les impacts sociaux et économiques de la transition numérique

 

 

 

 

Conditionner l’octroi des fonds structurels et d’investissement à des critères sociaux et environnementaux, tout en  procédant à trois mesures dans le prochain cadre financier pluriannuel CFP : l’augmentation des moyens, le  regroupement des Fonds,  et la révision de leur champ d’action de façon à permettre un ciblage spécifique sur  les  impacts décelés en lien avec le déploiement de technologies numériques

 

 

 

 

 

 

 

Donner corps, dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFE), au projet d’Autorité européenne du Travail (AET).

 

 

 

A plus long terme, établir unTribunal européen de Travail, couple à unmécanisme européen de coordination et de soutien de l’UE au bon fonctionnement des inspections nationales du travail

 

 

A moyen terme, deux volets de l’agenda social récent de l’UE, le socle européen des droits sociaux et le projet de création d’une Autorité européenne du Travailconstituent une fenêtre d’opportunités pour peser sur les réponses aux transformations du travail et de l’emploi à l’ère du numérique.

 

Même si la proclamation conjointe de ce socle par trois institutions européen es lui accorde pas de valeur juridique contraignante, l’AEPL recommande et soutient la mise en œuvre effective des 20 principes qu’il contient.

 

Cette mise en œuvre ouvre, en effet, une voie nouvelle par la possibilité de rattacher plusieurs de ces principes à des instruments juridiques existants, y inclus  la révision de directives, comme par exemple celle du temps de travail, mais aussi par le biais de nouveaux dispositifs, comme le projet de création d’une autorité européenne du travail

 

Parmi ces 20 principes,  sur lesquels la CJUE pourrait s’appuyer en lien avec la charte des droits fondamentaux de l’UE, notons en particulier pour notre sujet, celui sur :

 

Les contrats de travail et la proposition de directive portant sur des conditions de travail transparentes et prévisibles

L’équilibre vie professionnelle et vie privée et la proposition de directive

Droit à un salaire juste permettant un niveau de vie décent

Un environnement de travail sain, sûr et bien adapté, et la protection des données

vL’accès à la protection sociale

 

Sur la conditionnalité d’octroi des fonds, il faudra éviter de susciter parmi les Etats bénéficiaires, la suspicion d’un blocage de ressources en amont. Le mécanisme devrait donc être incitatif à la convergence sociale par le haut, graduel, et surtout liés à la fixation d’objectifs sociaux réalistes que l’UE pourrait définir à partir du suivi du  socle des droits sociaux.

 

 

 

 

 

L’AEPL recommande l’adoption du projet d’Autorité européenne du Travail, et en faire une agence européenne en veillant spécialement à lui donner un rôle opérationnel et en négociant son rôle juridique contraignant sur base des 20 principes du socle européen des droits sociaux,  dans les limites juridiques imposées par les traités, en particulier  l’article 153 du  TFUE

 

A plus long  terme, engager une démarche, certes utopique et envisageable que sur base d’un nouveau cadre juridique européen, qui consisterait à établir un Tribunal européen de Travail, couplé à un mécanisme européen de coordination et de soutien de l’UE au fonctionnement des inspections nationales du travail.

 

Un tel tribunal disposerait comme base juridique,  des conventions  internationales du travail de l’OIT ratifiées par les 28 Etats membres de l’UE,  de la jurisprudence du Comité d’experts de l’OIT et du socle européen des droits sociaux, dont plusieurs principes sont de fait l’expression directe de la charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.

 

Le traitement des dossiers au tribunal pourrait s’inspirer, sur une base tripartite, des mécanismes et procédures mis en œuvre par l’OIT.

 

Un recours d’appel pourrait être envisagé auprès de la Cour européenne de Justice (CJUE)

 

 

 

Lancer une initiative européenne de sécurisation des trajectoires professionnelles

  

Cet objectif conduit à sécuriser les trajectoires professionnelles en  permettant de passer d’un travail à un autre et de concilier vie privée, vie professionnelle, période de formation, travail bénévole etc…Elle intervient dans la refondation du droit du travail en couvrant les nouvelles formes de travail et pas exclusivement le travail salarié.
 

 

Sur la base du socle européen des droits sociaux, inciter les Etats membres, à doter d’une force juridique. des « droits de tirage sociaux[2] »

Couplée à la mesure qui consiste à substituer à la subordination juridique, le critère de dépendance économique, l’AEPL recommande la mise en place de droits de tirage sociaux. Des droits qui ne sont pas attachés à l’activité où  l’emploi, mais à la personne du travailleur et l’accompagnent dans sa trajectoire professionnelle et de vie,  quel que soit la diversité des situations de travail.
 

 

Doter la nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe[3] et la coalition en faveur des compétences et des emplois numériques[4] de moyens significatifs

 

Insérer les programmes relatifs à ces deux stratégies dans les mécanismes de solidarité et fonds structurels regroupés de l’UE

L’un des effets majeurs de la transition numérique porte sur la polarisation des emplois et du travail. Pour  y faire face, l’une des réponses pertinentes est la formation des citoyens au long de leur vie active en sécurisant leur trajectoire professionnelle.

Dans le cadre des réformes et des regroupements envisagés des fonds structurels, l’AEPL soutient la nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe qui définit les compétences numériques qui devraient être considérées comme faisant partie du socle de compétences essentielles pour l’avenir, aspect souligné dans la Partie I du socle européen des droits sociaux et la coalition en faveur des compétences et des emplois numériques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute refondation du droit du travail au sein de l’UE qui placerait le travail réellement humain ou vivant au centre du débat sur les politiques sociales doit intégrer toutes les formes d’activités 

Dans son analyse et les recommandations ci-dessus, L’AEPL a déjà suggéré plusieurs pistes et initiatives, à l’échelle européenne.

D’autres pistes, mises en évidence par les travaux d’Alain Supiot, renforceraient les dispositifs proposés, notamment:

Permettre d’engager une négociation sur le contenu et le sens du travail, en faisant de la conception et de l’organisation du travail un « objet de négociation collective et d’alerte individuelle »

Porter ces négociations collectives à des niveaux pertinents et pas seulement celle de la branche ou de l’entreprise et, de façon spécifique,  «  les niveaux concernés des chaînes et réseaux de production et d’approvisionnement et celui des territoires. »

Réduire l’opacité des responsabilités juridiques et économiques dans les chaînes d’approvisionnement et de production et des réseaux d’entreprises, « en indexant la responsabilité de de chacun des membres de ces réseaux sur le degré réel d’autonomie dont il dispose »

Dans une réforme du droit du travail, « prendre en considération le travail non-marchand […] qui est aussi vital pour la société qu’ignoré des indicateurs économiques »

 

 

[1] Tels que ceux énoncés dans la charte sociale européenne de 1961 et ceux de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989  et le volet travail dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE de 2000.

[2] Rapport pour la Commission des Communautés européennes avec la collaboration de l’Université Carlos III de Madrid : « AU DELA DE L’EMPLOI. » Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe. Sous la Direction d’Alain SUPIOT, rapporteur général. Flammarion. Mars 1999

[3] COM(2016) 381

[4] https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-skills-jobs-coalition

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