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L’Allemagne signe la fin des moteurs thermiques mais sous conditions

Publié le 12/04/2023

Fin des moteurs thermiques en 2035 : l’Allemagne signe mais sous conditions

Après l’exaspération suscitées chez ses partenaires par ses atermoiements, l’Allemagne a finalement signé l’accord européen sur la fin des moteurs thermiques à partir de 2035. Mais ce n’est qu’après avoir obtenu des concessions qui ne seront pas sans conséquences.

Notre infolettre #125 annonçait que l’Allemagne venait au dernier moment de refuser de signer l’accord sur la décarbonation des véhicules neufs en 2035, ce qui suffisait à le bloquer car avec les réserves de l’Italie, de la Pologne et de la Bulgarie, la majorité qualifiée pour l’adoption du texte ne pouvait être atteinte. Un accord péniblement négocié en faveur duquel elle s’était pourtant engagée quelques semaines plus tôt. Cet accord était un élément essentiel du Pacte Vert pour la Transition énergétique qui devait mener l’Union européenne à la neutralité carbone en 2050. Il engageait l’industrie automobile européenne sur la voie de l’abandon des énergies fossiles au profit essentiellement de l’électrique. Ce refus faisait douter de la fiabilité de l’Allemagne, cet État fondateur de l’UE.

Dérogation pour les « e-carburants »

Le 28 mars, nouveau retournement de situation : suite à la concession faite par Frans Timmermans, le Commissaire chargé de la mise en œuvre du Pacte Vert, l’Allemagne acceptait enfin de signer le texte ! Pour cela, elle venait d’obtenir une dérogation sous la forme d’un « acte délégué » dont le texte définitif serait reporté au mois de septembre. Selon cet accord, il sera possible de continuer à équiper certains véhicules de moteurs thermiques mais à la condition qu’ils utilisent exclusivement des carburants non fossiles. Il s’agira plus précisément de « e-carburants » produits industriellement par électricité renouvelable. Neutre en carbone et non dérivé du pétrole, un nouveau carburant « vertueux » en somme. Une victoire pour l’industrie allemande, ce qui n’empêchera pas l’Allemagne de prendre, comme tous les autres, le grand tournant de l’électrique.

Un cadeau électoral

Il faut dire que cette possibilité offerte d’aller vers la décarbonation sans remettre en cause le savoir-faire de ses industriels en matière de moteurs thermiques est très appréciée en Allemagne. Le ministre des Transports allemand, membre du parti Libéral partenaire de la coalition au pouvoir, a pesé de tout son poids pour arracher cette concession, en menaçant de tout bloquer à la dernière minute.

Une technologie « verte », vraiment ?

Mais est-ce que cet « e-fuel » de synthèse est vraiment aussi vertueux qu’on le prétend ? En théorie c’est le cas, puisqu’il est fabriqué à partir d’hydrogène issu de l’eau, combiné à du CO2 prélevé dans l’atmosphère du site de production. Le méthanol ainsi produit est ensuite traité chimiquement avant de pouvoir être utilisé comme carburant dans les moteurs thermiques. On obtient de la sorte des produits de synthèse qui peuvent à terme remplacer le kérosène, le fioul, le gazole ou l’essence.

Mais cette technologie alternative semble être beaucoup moins « verte » qu’annoncée par ses promoteurs. Pour produire en quantité industrielle l’hydrogène nécessaire, il faudra beaucoup d’eau et surtout énormément d’électricité pour en assurer l’électrolyse. Une voiture roulant avec un e-carburant, qui coûte actuellement huit à dix fois plus cher à produire que son équivalent fossile, risque de dépenser en réalité cinq à six fois plus d’électricité au kilomètre qu’une voiture électrique de même puissance ! Ce qui en ferait une technologie réservée pour le moment à une petite catégorie d’utilisateurs à haut pouvoir d’achat.

Un bilan peu vertueux

Puisque l’électricité utilisée sera nécessairement d’origine renouvelable, cela conduira à capter d’énormes quantités d’une ressource rare et chère dont le monde entier aura un immense besoin à l’avenir. De l’électricité propre pour fabriquer des carburants réservés à des voitures de luxe alors que les plus grands besoins en e-carburants viendront de secteurs où on ne pourra pas utiliser les batteries (aviation, transport maritime…). Le constructeur allemand Porsche a déjà investi des dizaines de millions de dollars dans des parcs éoliens au sud du Chili afin de produire industriellement cet e-carburant. Mais est-ce bien raisonnable d’utiliser des quantités gigantesques d’une électricité éolienne précieuse pour fabriquer un carburant à l’étranger qu’il faudra transporter par tanker sur des milliers de kilomètres ? Le bilan carbone est théoriquement neutre à l’échelle de la planète, puisque la quantité de CO2 émise lors de la combustion est la même que celle prélevée dans l’atmosphère par l’usine de production. Mais est-ce raisonnable de rejeter en Europe du CO2 prélevé en Amérique du Sud ? La production, le raffinage et le transport de cet e-carburant laisseraient déjà entrevoir un bilan carbone bien plus élevé que la neutralité annoncée officiellement, un prix à la pompe dissuasif pour la majorité des utilisateurs européens et un bilan énergétique global bien peu vertueux au moment où il est partout question de sobriété énergétique.

Un succès politique pour l’Europe

Quelles conclusions peut-on provisoirement tirer de l’accord obtenu ? D’un point de vue politique, on peut malgré tout parler d’un véritable succès pour l’Union européenne. En 2035, l’essentiel de la production automobile de l’UE sera constitué de véhicules non polluants. Une étape majeure pour atteindre collectivement l’objectif de neutralité carbone tout en réduisant notre dépendance envers les pays producteurs de pétrole. Un échec aurait signifié pour l’Europe l’impossibilité d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et un signal désastreux pour l’abandon des énergies fossiles par nos concurrents mondiaux dans le secteur de la voiture particulière.

Concessions électoralistes nationales

La priorité donnée aux intérêts nationaux a failli faire échouer un projet majeur pour l’Union. La volte-face allemande de dernière minute donne, de plus, un très mauvais exemple alors que l’Union a besoin d’un minimum de confiance entre ses membres. La Commission et le Parlement ont été exemplaires, mais le Conseil a montré une fois encore ce que les considérations électorales nationales pouvaient avoir de néfaste pour le projet européen et donc au final pour chacun de ses membres.

Un premier pas pour l’environnement

D’un point de vue environnemental, le bilan est positif bien que mitigé. Il faudra encore une longue période de transition avant que les transports en Europe soient tous non-polluants, mais l’impulsion est donnée et c’est déjà un résultat inespéré. Est-ce que la dérogation finalement accordée pour les moteurs fonctionnant aux e-carburants est une bonne chose pour l’Europe, alors que des doutes se sont faits jour sur la faisabilité du tout-électrique ? Remarquons simplement que cette exception serait réservée à un petit nombre de riches consommateurs qui souhaitent continuer de faire rugir leurs moteurs, quel qu’en soit le prix économique ou environnemental. À la grande satisfaction des constructeurs automobiles notamment allemands qui savent bien qu’ils réalisent avec eux leurs plus gros profits.

Mieux répartir l’électricité verte

Mais le véritable problème est ailleurs et il reste encore à résoudre : l’électricité décarbonée issue du renouvelable reste et restera encore longtemps une ressource rare et chère autant qu’indispensable à nombre d’autres secteurs clés pour atteindre nos objectifs en matière de climat. Il serait pour le moins étrange qu’elle ne soit pas réservée aux besoins prioritaires des Européens. Un des prochains chantiers de l’Union devra être de s’attaquer à la régulation du marché de cette ressource énergétique stratégique pour la diriger prioritairement vers les secteurs porteurs de progrès social et de préservation de l’environnement, plus conformes à ses valeurs.

 

Le Comité de rédaction

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