AEPL

La voiture électrique : un progrès social ? physique ? réaliste ?

Publié le 30/05/2023

Chers amis, chères amies

“La décision européenne de ne plus produire de voitures à moteur à combustion interne à partir de 2035 touche un nombre considérable de domaines clés : environnement, climat, énergie, transport, industrie, souveraineté, politique intérieure, concurrence internationale, gouvernance européenne, psychologie, justice sociale… Ainsi, toucher à l’avenir de la voiture particulière, c’est toucher à l’intimité de chacun de nos modes de vie de manière concrète. On peut donc s’attendre à un large éventail de réactions de la part des citoyens européens.

Comment, dans ces conditions, analyser et commenter les conséquences de cette importante décision au nom de l’AEPL ? Comme il est matériellement impossible de représenter les points de vue les plus opposés dans une  même lettre d’information, le comité de rédaction a opté pour en faire exceptionnellement deux sur le même sujet, chacune donnant les arguments propres à sa sensibilité personnelle. L’un des privilèges de la libre pensée est en effet de pouvoir exprimer librement une opinion, qui doit être accueillie avec compréhension et tolérance. Chaque version n’engage que leurs auteurs.

Le Comité de rédaction 

Un progrès social ?

La voiture électrique est-elle sociale lorsqu’on sait qu’elle est en moyenne au moins 10 000 € plus chère qu’une voiture thermique et que son prix ne baissera vraisemblablement plus en raison de la diminution prévisible de la disponibilité de certains matériaux, à mesure que cette technologie se développe ? (*)

Et que dire des déplacements dans les zones à faibles densité, très mal desservies par les transports en commun, où la voiture reste nécessaire ?

En outre, même en zone à forte densité de population, la disponibilité des bornes de recharges est un problème impossible à résoudre dans les immeubles sans emplacements de parking privés (la toute grande majorité des rues bruxelloises p.ex.) ou dans les immeubles à appartements.

Les matières premières – un risque géopolitique

La voiture électrique pose de nombreuses questions quant à l’approvisionnement des minéraux nécessaires pour produire les batteries et les moteurs : les quantités nécessaires seront énormes avant de pouvoir compter, en partie seulement, sur le recyclage des composants arrivés en fin de vie.

Il faut, en effet, de 320 à 600 kg de batterie par voiture, selon les modèles, auxquels il faut ajouter le poids du (ou des) moteur(s) électrique(s).

En comparaison, le moteur d’une voiture thermique ne pèse qu’environ 125 kg.[1]

Il faut donc en moyenne plus de 460 Kg de minerais par voiture pour plus d’un milliard de voitures dans le monde, soit 460 millions de tonnes, dont le quart rien qu’en Europe,.à comparer à la production actuelle de ces minéraux qui ne représente que quelques centaines de milliers de tonnes) C’est particulièrement le cas du Lithium et du Cobalt, mais aussi du Cuivre et des terres rares.

Dans son rapport du 30/1/2022, l’A I E (Agence Internationale de l’Energie) évoque même un risque de pénurie de Lithium et de Cobalt à ‘horizon 2040.

Depuis plusieurs années, la Chine qui possède près de 50% des ressources minières en la matière sur son sol, a fait main basse sur les mines partout ailleurs dans le monde et contrôle actuellement plus de 88% de la production mondiale.

D’un point de vue géopolitique, l’insécurité liée à la dépendance à ce seul pays sera bien plus préoccupante que celle vis-à-vis du pétrole, du gaz et des matières fissiles dont il est possible de diversifier l’approvisionnement. (*)

La voiture électrique, une technologie verte ?

Mais, il faut aussi se soucier de ce qui se passe “de l’autre côté de la prise”

Les éoliennes, dont on nous fait croire qu’elles vont produire l’électricité nécessaire en sont totalement incapables. La densité d’éoliennes offshores est idéalement limitée à 5 ou 6 MW par km². Lorsqu’on augmente cette densité, le rendement de production diminue car les turbulences engendrées s’étendent jusqu’aux éoliennes voisines. Au large des côtes belges la densité acceptée monte au double : 12 MW/km². Malgré cela, la limite physique est bien là :  il n’y a pas assez de place disponible pour compenser les centrales nucléaires que l’on entend fermer, c-à-d satisfaire les besoins actuels. Alors, imaginer que les éoliennes pourraient faire face à de nouvelles et très vastes applications, telles que la voiture électrique est tout simplement impossible.

Mais surtout, il faut être conscient que les éoliennes offshores ne produisent que de 29% à 48% du temps, soit une moyenne de 38%, à cause de la variabilité du vent, ainsi qu’il ressort des enregistrements réalisés par la FEBEG (pour la Belgique) .

(Pour les capteurs solaires c’est encore pire, ils ne produisent que 9% du temps (12% en moyenne nationale en France !) et d’une manière encore plus variable que les éoliennes selon la nébulosité, les saisons et l’alternance jours-nuits). (cf FEBEG)[2]

Le projet de construction d’un parc de 300 GW d’éoliennes en mer du Nord et en Baltique ne changera malheureusement rien au fait que les éoliennes ne produisent que moins de 40% du temps. Croire que l’étendue du projet permettra de compenser les zones sans vent par une interconnexion des pilonnes entre eux revient à ignorer que les anticyclones et autres phénomènes météorologiques couvrent très fréquemment la totalité du projet.

Même avec ce mégaprojet, en l’absence du nucléaire, les nouveaux besoins ne pourront malheureusement être assurés les 60% du temps restant que par des centrales au gaz (voire au charbon comme en Allemagne !). C’est insensé !

Il faut donc comparer la consommation d’énergie primaire d’une voiture électrique alimentée par de l’électricité issue du gaz à celui d’un moteur thermique directement alimenté au gaz.

Le résultat est sans appel : le moteur à gaz à un rendement de 35%par rapport à l’énergie primaire et même, plus de 45% pour des prototypes de moteurs déjà existants[3], là où le moteur électrique n’a qu’un rendement de 24% en raison des nombreuses transformations que subit cette énergie primaire avant d’activer les roues : il faut prendre en compte la production de l’électricité (55 à 60 % maximum dans les meilleures turbine gaz-vapeur (TGV)), ses multiples transformations de tension (perte de 2% à chaque transformation, son transport et sa distribution (jusqu’à 10%), son stockage dans les batteries et sa restitution en conditions réelles (maximum 60% compte non tenu de la nécessité de réchauffer les batteries en hiver et de refroidir en été).

Une voiture électrique produit donc 35%/24% = 1.48 fois plus de CO2 qu’une voiture équipée d’un moteur thermique et . 45%/24% = 1.9 fois plus si on anticipe la généralisation des performances des prototypes. En l’absence de nucléaire, on est bien loin d’une technologie verte.

Un planning irréaliste

L’alimentation des bornes de rechargement va exiger au moins un dédoublement des réseaux de transport et de distribution de l’électricité existants de même que le développement de nouvelles unités de production.

Actuellement, les éoliennes ne produisent que 19% de l’électricité consommée en Belgique. A l’exceptions de quelques pays comme l’Allemagne et certains pays nordiques, l’ordre de grandeur est semblable dans la plupart des autres pays d’Europe[4].

Il est difficile de croire que les investissements en centrales et en transport/distribution seront opérationnels déjà en 2035 et même à l’horizon 2050. Il suffit p.ex. d’observer les oppositions farouches à la construction d’une seule ligne à haute tension qui devrait traverser le Hainaut au Sud de la Belgique pour se rendre compte à quel point les riverains mettront tout en œuvre pour négocier les implantations des nouvelles centrales et des lignes de distributions ailleurs que chez eux (le principe “NIMBY” (Not in my Backyard) est bien présent dans ce contexte !). A noter que cette réticence, ou plutôt cette opposition est aussi observée pour l’implantation de parcs éoliens terrestres. A moins, bien sûr, que cela se fasse d’autorité, quitte à s’asseoir sur les règles démocratiques qui nous sont chères… comme d’interdire sans concertation toute circulation de voitures thermiques à Bruxelles ou de rendre impossible en pratique le recours contre les nuisances des diverses installations sans procédures juridiques coûteuses, hors de portée des citoyens concernés.

Les e-carburants

Dans l’état actuel des connaissances, la production des e-carburants passerait par l’électrolyse de l’eau pour produire de l’hydrogène et le combiner ensuite au CO2 atmosphérique pour produire finalement du méthanol, carburant utilisables dans les moteurs “à essence” moyennant une légère adaptation de l’alimentation. Ces multiples transformations se font avec un bilan global très bas (maximum 10%)

Or, on vient de voir que cette électricité ne pourra pas être d’origine verte dans nos régions. Même si de gigantesques parcs d’éoliennes étaient construits en Amérique du Sud p.ex. pour alimenter les usines de méthanol, les quantités produites resteraient dérisoires par rapport aux besoins et auraient un prix de production très élevé (3 à 4 fois le prix actuel des dérivés du pétrole).

Par contre, il n’est pas interdit de penser que de nouvelles technologies pourraient être développées chez nous à partir d’électricité produite dans des centrales nucléaires de 4e génération[5]  et qu’un facteur d’échelle permettra aussi de réduire les coûts de production d’un carburant qui n’émettra plus que la vapeur d’eau dont il est issu et fera retourner à l’atmosphère le CO2 qui y avait été capté localement pour sa synthèse.

Un premier pas vers le réalisme !

Trop souvent en matière de CO2 “la science du législateur prend le pas sur celle de l’ingénieur” au mépris de réalités physiques.

La décision européenne de permettre la poursuite de la construction de moteurs thermiques est un retour vers plus de réalisme social, technologique et physique.

Il est à espérer que l’Europe encouragera la construction de centrale nucléaire de 4e génération dont la sécurité de fonctionnement n’a rien de commun avec celle de nos vieilles centrales. Elles produiront de l’électricité à bas prix, ouvriront la voie à de nombreuses applications et exploiteront un combustibles 100 fois plus abondant que l’Uranium 235 utilisé aujourd’hui.

La disponibilité de cette ressource se chiffre à plusieurs millénaires (5 000 ou 20 000 ans selon les hypothèses). En outre, ces centrales permettront également de « bruler » les déchets issus des centrales des générations précédentes, divisant par 50 leur volume et par 1 000 leur durée de vie.

Dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, nous pourrons concevoir la décarbonation de la mobilité, la production d’hydrogène et pourquoi pas le “tout électrique”, mais cela prendra encore plusieurs décennies.

Malheureusement, l’engloutissement de sommes gigantesques (800 Milliards d’Euros) dans le projet éolien en Mer du Nord, qui ne résoudra le problème que 40% du temps, détourne les budgets disponibles au détriment du développement de ces nouvelles centrales.

Dans ces conditions, nous allons- produire encore longtemps 60% d’électricité d’origine fossile.

 

(*) D’aucuns tablent sur le fait que les voitures électriques produites en Chine seraient vendues à un prix inférieur. Tabler sur une telle hypothèse accroîtrait encore notre dépendance à ce pays et reviendrait à sacrifier notre industrie automobile européenne.

[1] Sources :

EDF: https://izi-by-edf.fr/blog/voiture-electrique-poids-batterie/

Le Vif : https://www.levif.be/societe/mobilite/auto/pourquoi-une-voiture-electrique-pese-t-elle-si-lourd/)

Les Echos : https://www.lesechos.fr/2016/10/la-chasse-aux-kilos-une-equation-peu-evidente-234473

[2]  https://fr.statista.com/statistiques/562844/facteur-de-charge-solaire-moyen-par-region-france/ page 16

https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/windeurope-annual-offshore-statistics-2017.pdf

[3] https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-75496.html

[4] (cf Global Wind Report et de très nombreuses références sur l’article consacré au sujet sur Wikipedia)

[5] L’atome vert de Jean-Christophe de Mestral (isbn : 978-2828912444 )

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